Faim d’Eglise et de réconciliation

Ces derniers temps, l’actualité montre une EERV en crise. Des ministres licenciés, des procès intentés, le dialogue souvent ropmu, brisé. Plusieurs personnes m’ont interpelé : « il se passe quoi dans ton Eglise ? ». Le CS communique ici : http://eerv.ch/situation-a-sle/; le mouvement citoyen de Saint-Laurent Eglise (page FB) là : https://www.facebook.com/Mouvement-citoyen-Saint-Laurent-Eglise-1784546421777867/. Personnellement, j’ai beaucoup lu, réfléchi, médité. Et je me suis dit, en fin de compte, que ma voix de jeune ministre pouvait aussi se faire entendre dans un sens peut-être un peu différent de ce que l’on lit/entend dans les médias.

L’EERV (Eglise Evangélique Réformée du canton de Vaud) traverse donc une crise. Qui a tort qui a raison, je ne suis pas là pour le dire. Je n’ai pas les informations nécessaires, et de toute façon, d’autres le feraient mieux que moi. Mais j’aimerais résumer ma position en 3 points qui, je crois, résonnent/consonnent avec plusieurs autres jeunes théologiens.

a) Tristesse et consternation

D’abord, je tiens à dire que la situation actuelle m’attriste au plus haut point. A cause des personnes qui ne sont pas respectées, à cause de l’image déplorable de l’Eglise donnée, à cause des puissance diaboliques (de « division » donc) à qui l’on accorde la victoire en mettant les égos et orgueils personnels au-dessus de l’Evangile. Je suis triste que le dialogue ne soit plus possible, alors que Jésus n’a à aucun moment cessé de chercher le dialogue, même avec ses pires ennemis, même s’il pouvait craindre d’être accusé et mal compris. Jésus, l’homme de dialogue, ne doit-il pas nous inspirer ?

Ne plus pouvoir se mettre autour d’une même table et devoir passer par les journaux (avec des mises en scène au limite du ridicule dans un « petit débat provincial où il est démontré que le Prophète a le sens du buzz et que le Sanhédrin manque d'astuce publicitaire » comme le dit Denis Müller) et les tribunaux (encore une fois sans connaître tous les tenants et les aboutissements des « affaires »), tout cela m’écoeure. Me consterne. Me fait honte. Oui j’ai honte que « ce cirque », pour reprendre des termes d’un autre jeune théologien (avec le manichéisme simpliste de la situation : « les gentils contre les méchants »), qu'il se passe « chez moi », dans mon Eglise que j’aime tant, de laquelle je suis parfois si fier. Mais comment faire pour dépasser cette honte ?

b) Loyauté et fidélité

Oui j’aime mon Eglise. Et je me sens loyal vis-à-vis d’elle, elle qui m’a toujours soutenu, même dans mes moments difficiles, qui nous a toujours montré, à nous jeunes ministres, combien nous comptons pour elle !

Certes, être pasteur n’est pas un « emploi » comme un autre, c’est un ministère, d’abord au service du Christ et non de l’institution. Certes. Mais nous avons besoin de cette dernière ! Que ferions-nous sans elle ? C’est elle qui nous offre le cadre sans lequel la Vie avec Dieu ne serait pas possible, ou en tout cas pas de cette manière, ne l’oublions pas. Oui nous ne sommes pas une entreprise à but lucratif comme d’autres, mais l’Eglise est aujourd’hui qu’on le veuille ou non une entreprise. Elle se doit de gérer son personnel, elle se doit de se séparer de personnes qui pourraient être problématique comme d’autres le font (nous ne sommes plus dans l’Eglise de Grand-Papa où l’on devait se coltiner des boulets jusqu’à leur retraite, si par exemple son employé « ternit le message de l'Evangile ou le trahit consciemment, c'est là que ça trahit les valeurs de l'Eglise », comme le disait un jeune collègue et néanmoins ami). Il faut arrêter de vivre dans le monde des bisounours ! L’Eglise est une entreprise humaine qui fait de son mieux pour se gérer, elle ne cherche pas à être méchante, à brimer la parole et à faire tomber des ministres !

L’Eglise est perfectible ? Tant mieux, qu’elle se perfectionne (et c’est le rôle du Synode d’y veiller), par exemple en créant une commission de conciliation ! Elle fait des erreurs ? Qu’elle les reconnaisse et fasse en sorte que le dialogue puisse demeurer. Elle a des manières parfois « autoritaires » ? Qu’elle garde cette juste autorité tout en adoucissant ses manières, en temporisant quand il le faut et en ouvrant des chemins de réconciliation. Trop souvent, les protestants critiquent l’autorité alors que nous en avons besoin ! Et je pose la question en retour : quel souci d’unité (de l’Eglise et des Eglises !) ont les ministres, frustrés et révoltés contre l’Eglise ? Pour mémoire, voici le texte d’engagement des nouveaux consacrés :

A la place qui sera la vôtre dans la mission de l'Eglise:
-  vous promettez d'annoncer, en paroles et en actes, la Parole de Dieu telle qu'elle est contenue dans l'Ecriture sainte, de veiller à la vie communautaire du peuple de Dieu, et de remplir en conscience les devoirs d'un ministre de l'Eglise évangélique réformée du canton de Vaud; 

-  vous promettez de servir, de former et d'encourager vos frères et vos sœurs, au nom du Seigneur Jésus-Christ, afin que leur foi soit affermie et leur engagement stimulé; 

-  vous promettez d'accompagner avec persévérance ceux dont vous aurez la charge, de chercher ce qui unit et non ce qui divise, d'observer la discrétion qu'impose le ministère et d'être pleins d'attention et de respect envers tous; 

-  vous promettez d'accomplir fidèlement votre ministère et de rechercher en toute circonstance le bien du pays, en lui annonçant l'Evangile avec une entière liberté, selon que Dieu le commande. 
Vous le promettez dans la communion de l'Eglise, avec l'aide du Père, du Fils et du Saint- Esprit. 


c) Réconciliation et unité

Pour terminer, le point essentiel est celui, évangélique, de la (ré)conciliation. Jésus n’est-il pas venu sur en vue de la réconciliation, justement ? Même quand le pire est vécu, il y a toujours un chemin… Est-il si difficile de reconnaître qu’on s’est planté ici ou là, qu’on regrette, qu’on demande pardon ? Et je médite ces paroles de la lettre aux Philippiens :

1S’il y a donc un appel en Christ, un encouragement dans l’amour, une communion dans l’Esprit, un élan d’affection et de compassion, 2alors comblez ma joie en vivant en plein accord. Ayez un même amour, un même cœur ; recherchez l’unité ; 3ne faites rien par rivalité, rien par gloriole, mais, avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous. 4Que chacun ne regarde pas à soi seulement, mais aussi aux autres.
5Comportez-vous ainsi entre vous, comme on le fait en Jésus Christ : 6lui qui est de condition divine n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu.
7Mais il s’est dépouillé,
prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes,
et, reconnu à son aspect comme un homme,
8il s’est abaissé,
devenant obéissant jusqu’à la mort,
à la mort sur une croix.
9C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé
et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom,
10afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse,
dans les cieux, sur la terre et sous la terre,
11et que toute langue confesse que le Seigneur, c’est Jésus Christ,
à la gloire de Dieu le Père.
(Phlp 2, 1-11, version TOB).

Ma prière

Que faire pour dépasser cette honte dont je parlais en début d’article ? Que chacun puisse laisser de côté ses égos et ses blessures pour vivre, avec une grande humilité, un chemin de réconciliation vers l’unité, voilà ma prière. D’expérience, je sais que, suite à des blessures qui semblent à priori insurmontables, le chemin de la réconciliation est  long et ardu, mais c’est possible ! Malheureusement, ce n’est pas en mettant de l’huile sur le feu avec une campagne médiatique que cela le favorisera.

Tandis que certains protestent et font la grève de la faim, le jeune pasteur que je suis j’affirme haut et fort que J’AI FAIM !!! Faim d’Eglise et de mon Eglise que j’aime, en dépit de toutes ces histoires. Faim de réconciliation, car l’humain est ce qu’il y a de plus précieux, et cela même si cela doit nous coûter, même si cela touche notre orgueil.

Rendez-nous fiers

Alors chers collègues, chers frères et sœurs du CS, je vous le demande : rendez-nous fiers. Rendez-nous fiers en ouvrant une porte à la réconciliation, même si cela veut dire mettre de côté son orgueil.. Avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous, comme disait l’apôtre Paul. Car en dépit des apparences, l’Eglise n’en sortira pas avec un pouvoir diminué, mais si vous trouvez une issue, elle aura grandi. Comme avec ces épreuves qui jalonnent notre chemin de vie : « tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts », l’Eglise qui aura traversé cette tempête sera plus forte. C’est le moment, le kairos, pour le démontrer à tous ceux qui se posent des questions sur l’Eglise qui est et doit rester d’abord un lieu de dialogue et de réconciliation !

Commentaires

  1. Merci de ton regard ! Bien sûr en tant que citoyen de SLE je ne partage pas ta honte mais je peux comprendre ce sentiment de malaise...

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  2. François Paccaud22 juin 2016 à 08:35

    De manière habituelle, dans un conflit, chacun reproche à l'autre de ne pas vouloir dialoguer. C'est le cas ici aussi me semble-t-il. Ouvrir la porte à la réconciliation, et mettre de côté son orgueil, est sans doute un besoin de part et d'autre.

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  3. Bonjour,

    Merci pour votre réflexion, qui s'élève au-dessus de la mêlée. Je partage profondément votre sentiment de tristesse et aussi de honte. Dans une telle crise, les parties en conflits, dont la vocation est d'être témoin du Christ, contredisent par les actes et par les paroles ce qui est justement leur raison d'être.

    Ma tristesse vient aussi de ce que je suis en moi-même divisé. D'un côté, je m'identifie à la foi de l'Église réformée. Une foi qui ne cherche pas à juger ou à exclure, mais qui, à la suite du Christ, se donne pour but d'aimer le monde tel qu'il est et non tel qu'il devrait être.
    De l'autre côté, à Saint-Laurent-Eglise, notre famille a trouvé un lieu où nous nous sentons bien, tant par la foi partagée que par les relations que nous y avons tissées. Dans ce lieu, où il est un des pasteurs, Daniel Fatzer a manifesté beaucoup de soin pour la vie communautaire ainsi qu'une véritable écoute dans les relations individuelles.

    Face au licenciement de notre pasteur, ce qui m'a le plus blessé, c'est que les « justes motifs » ne portent pas sur son rôle de pasteur au sein de notre église, mais sur des questions de relation à l'institution. Je ne nie pas les motifs évoqués par le Conseil Synodal. Cependant avant cette lourde décision, personne dans la communauté n'a été consulté ou même informé : ni le conseil ni les paroissiens.
    Cet événement m'a donné le terrible sentiment que l'assemblée des croyants est en réalité un groupe de clients qui consomment le produit proposé par l'église, pour lequel elle se charge d'envoyer comme pasteur le théologien dont la spécialisation est la plus adaptée aux besoins du lieu. Cette façon de pratiquer est parfaitement correcte dans un domaine technique. Cependant, comment l'autorité peut-elle évaluer l'action du pasteur au sein d'un lieu d'église, avec sa réalité spirituelle et relationnelle, si elle reste à distance et n'a aucun contact avec les paroissiens ?

    De cette triste expérience, je garde le sentiment que les autorités de notre église ne reconnaissent à la communauté locale ni le droit à la parole concernant son propre destin ni le discernement pour juger si ses pasteurs sont ou non fidèles à leurs vocations. Celle-ci ne serait donc composée que de chrétiens mineurs qui doivent être guidé par de plus grands qu'eux ?

    Pour terminer, je partage votre point de vue sur la loyauté et la fidélité, en mettant mon espoir dans la capacité de l'église à se réformer. De mon point de vue, tant que l'institution ne pervertit pas l'évangile qu'elle est chargée d'annoncer, la loyauté envers elle ne devrait pas être remise en cause.
    Et plus que tout, je soutiens du fond du cœur votre appel à la réconciliation. Dans une telle période de battage médiatique, celle-ci serait aux yeux de tous un vrai témoignage de l'évangile.

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  4. Merci Benjamin, pour cette lettre. Je prie également pour une réconciliation, je pense aussi que cela ne se fera que au moment où l'humilité aura touché chaque personne faisant partie du conflit.
    Étant membre de Saint-Laurant-eglise, j'ai peut-être une vision biaisée.
    À bientôt
    Aloys

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