Oserons-nous rêver l'Eglise?

Comme le petit livre de Bernard Hort qui date déjà un peu (1992!), ces temps je rêve à une autre Eglise. Mais pris par le quotidien, pris par les affaires courantes, les budgets, les projets qui marchent ou qui se cassent la figure, pris par la paroisse, la région, les colloques, les collègues (joie!), pris par tout cela, quel temps est-ce que je me donne réellement pour rêver l'Eglise? Quelle liberté, quelle place pour la créativité dans mon quotidien ?

Qu’est-ce que tu attends de ta paroisse ?

Ce matin justement, pendant quelques heures à Crêt-Bérard, j'ai rêvé. Avec le pasteur Hans Eschbach venu des Pays-Bas, j'ai rêvé une Eglise qui ne déprime pas devant des bancs qui se vident mais qui espère. Alors que l'on va entrer dans le temps de l'Avent, osons nous poser la question de l'attente: qu’est-ce que tu attends de ta paroisse pour les 5 années qui vont suivre ? Qu’est- ce que tu as comme projet pour ta paroisse et quelle est ta part dans cela (en tant que serviteur du Christ, de la Parole, de la paroisse)?


Donner du temps au rêve
Paf, première baffe. Oui c'est vrai! On parle beaucoup de vision dans l'Eglise aujourd'hui, mais de quelle vision justement? et si l'on osait rêver plus loin que ce qui est possible, réalisable ? Toucher les jeunes? les familles? cheminer avec les 30-50 ans? Prends du temps pour rêver, martèle le pasteur hollandais. Mais est-ce que l'Eglise est réellement prête à donner du temps au rêve, au changement? est-elle réellement prête à laisser tomber des choses? J'entends déjà ma présidente de conseil dire: "telle ou telle chose, ça aussi, c'est important, pour notre visibilité". Quand laissera-t-on ce qui appartient au siècle dernier dans le passé pour se recentrer sur l'Essentiel, sur ce pour quoi nous sommes Eglise: la Parole de Dieu (bon Dieu)! Non, tout n'est pas essentiel, quand bien même on peut nouer certains contacts à certaines occasions. Nous sommes d'abord "Eglise" autour de la Parole et des sacrements, autour de la spiritualité des hommes et des femmes de notre région, pas autour des fêtes villageoises, du rallye des enfants de la fête des vendanges ou du discours du 1er août.

Puis le pasteur hollandais parle de la "sagesse multicolore" de Dieu, que toutes les couleurs ont le droit d'exister dans l'arc-en-ciel de Dieu, sans qu'aucune ne soit meilleure que l'autre. Simplement faire que chacun puisse se (re)trouver dans l'une ou l'autre avec des identités plus marquées pour les paroisses (louange, liturgique, Taizé, etc.). Oui, donnons de la diversité à notre Eglise, bonne idée, dans une région où chacun peut y trouver son compte. Mais le problème, c'est que notre histoire vaudoise s'ancre dans un rapport à la territorialité qui est fort: comment les enfants/parents se retrouveraient-ils là-dedans alors que le lien territorial-scolaire est si important pour eux? Encore des forces qui freinent le changement...

On va dans le mur: changeons de vision!

Avant la pause, le pasteur termine sur la phrase: Qu’est-ce que la Suisse perd si ta paroisse meurt ? Deuxième baffe. Je me demande parfois si on se rend vraiment compte que l'on va dans le mur si l'on continue ainsi... Oui on en parle, Le temps presse, oui, mais sur le terrain, peu de choses changent réellement. Les forces de changement sont souvent annulées par les forces conservatrices. Oui, nos paroisses risquent de mourir. Et cela serait terrible à de nombreux égards. Alors n'est-ce pas justement le KAIROS, le moment opportun de changer réellement quelque chose et en profondeur? le moment ou jamais changer de vision? It's now or never.

La vision proposée par le pasteur Hans Eschbach est celle des groupes de maison, niveau intermédiaire entre les grands événements (ce que l'on sait assez bien faire en Eglise) et l'accompagnement individuel (ce que l'on sait aussi assez bien faire en Eglise). Semer ainsi des groupes qui se rencontrent 1x toutes les deux semaines, chez un hôte qui n'est en rien un spécialiste mais un simple chercheur de sens comme les autres. Oublier nos volontés de placer la barre très haut (KISS: keep it simple stupid! Oui, gardons une façon de faire simple et abordable! :-), oublier la centralité du pasteur qui devient un "simple" formateur des hôtes (1x/mois) qui les accompagnent. Et dans cette petite communauté, se centrer sur le partage, prier les uns pour les autres: l'idée me plaît, mais à nouveau ma vision de la réalité semble me freiner dans mon rêve: comment aujourd'hui trouver des gens prêts à donner de leur temps pour cette recherche spirituelle régulière alors que leur agenda déborde? Je n'ai pas de réponse face à ce mal du XXIe siècle qu'est le manque de temps.

L'envie de donner un coup de pied dans la fourmilière

Après la conférence, revigoré par cette vision de Hans Eschbach, nous discutons avec mon collègue dans la voiture. Troisième baffe. Rattrapé par la réalité paroissiale, par nos difficultés, par le trop plein, par tant de choses comme cette "tiédeur" bien vaudoise (notamment pour "mettre le paquet pour créer une nouvelle vision paroissiale": "non, c'est trop tôt...", "non c'est un trop gros investissement..."), j'en ressors avec une seule envie: donner un grand coup de pied dans la fourmillière. Je rêve au fond de repartir comme les apôtres dans les Actes. Et si c'était ça, rêver l'Eglise de demain?

Je ne suis pas en paix avec cela. C'est si complexe, tant sociologiquement que théologiquement, dans ce XXIe débordant de tout. Mais laissez-moi rêver d'une Eglise vivant la kénose (se vidant) pour se recentrer sur l'essentiel: avec moins de structure, moins d'administratif, plus de contacts humains, plus d'accompagnements, plus de vie dans l'Eglise. En janvier, nous lançons des célébrations "cultes en lumière" pour redécouvrir le culte. Est-ce que ce type de célébration ne pourrait pas s'accompagner de groupes de maison qui cheminent ensemble à la suite du Christ? Des "chercheurs de Dieu", voilà ce que nous sommes tous sur terre. A nous de trouver la bonne formule pour rejoindre les gens et cheminer avec eux (par exemple la dernière initiative à laquelle je participe: l'évangile à l'écran, 1 verset, 1 message d'1 phrase par dimanche)! Alors oui, en dépit de tous les freins, rêvons ensemble !



Commentaires

  1. Cher Benjamin,

    Ton message me réjouit le coeur, merci de nous partager tes réflexions et ce feu qui brûle en toi. Ne le laisse surtout pas s'éteindre !

    Tout d'abord, pour rebondir sur un obstacle que tu évoques: ce manque de temps que tu présentes comme le mal de ce siècle est un magnifique leurre. Le vrai mal qui se cache là derrière c'est le manque de discernement de l'essentiel.

    Oui il faut que notre Eglise change, et pour cela, il faut que nous changions d'abord nous-mêmes, que nous mettions nos vies à plat devant Dieu et que nous Le laissions dire clairement à nos coeurs ce qui cloche et qui nous empêche d'être en communion avec Lui.

    C'est à ce moment que le pardon rendu possible par la mort du Christ sur la croix, peut opérer une action en profondeur sur notre vie.

    la Parole nous fait alors une promesse :

    Psaume 37.4-5 : « Fais de l'Éternel tes délices, Et il te donnera ce que ton cœur désire. Recommande ton sort à l'Éternel, Mets ta confiance en lui, et il agira. »

    Bien à toi,

    Sylvain

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    1. Merci Sylvain ! C'est vrai que du temps, on en a tous la même quantité — les hollandais autant que les suisse. La question est de savoir comment on l'utilise.

      Et merci Benjamin, ton interpellation met des mots sur ce à quoi beaucoup aspirent. j'espère que l'on pourra continuer de rêver l'Église tous ensemble !

      En Christ,

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  2. Je me retrouve dans la tiédeur dont tu parles. Comme conseillère paroissiale, je me méfie de ce qu'on pourrait encore me demander... Pourtant je suis triste de ces cultes fréquentés par un si petit nombre de personnes souvent âgées. La qualité des prédications et de la liturgie ne me semblent pas en cause, mais de toute évidence les jeunes et les familles sont ailleurs. Faut-il s'y résoudre? Sommes-nous encore Eglise? Quel est cet Essentiel qui nous manque? C'est peut-être par cette discussion qu'il faudrait commencer. Mais avons-nous peur au fond de ne pas être sur la même longueur d'onde? De nous trouver face à nos diffèrences théologiques assez facilement mises de côté sur le stand d'un marché?

    Réflexion passionnante à poursuivre...

    Beverly

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  3. Chère Beverly,

    Pour répondre à une de vos questions, l'essentiel pour nous chrétiens est la communion avec notre Père.
    (La première épitre de Jean donne un enseignement extrêmement précieux à ce sujet. )

    Malheureusement dans notre Eglise on a souvent tendance à mettre la charrue avant les boeufs en faisant agir nos êtres de chair par eux-mêmes, avec la force de nos bonnes volontés sous la gouvernance de nos intelligences humaines.

    Pour aller plus loin sur nos chemins de foi, il est urgent de nous reposer la question de ce que signifie concrètement "naître de nouveau".

    Lorsque nous aurons compris et mis en pratique ces choses, que nous nous serons laissés briser par l'Amour du Christ, il y a une masse de questions que nous n'aurons plus besoin de nous poser dans et sur notre Eglise.

    Sylvain


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  4. Je suis très touchée par ces réflexions et aussi surprise et finalement soulagée, rassurée. J'y réfléchis aussi assez souvent et je reste assez découragée car j'ai l'impression que les choses sont figées, qu'on a toujours fait comme ça, qu'il faut pas bousculer les paroissiens fidèles (les personnes plus agées).
    Tu parles de groupes de maison : j'ai des amies qui ont des groupes de ce genre et j'y participe parfois. Elles ont une famille, un boulot mais elles mettent une priorité à ces groupes. je ne pense pas que ce soit un problème de temps.
    Alors moi je dis : rêvons ! puis prions pour ces rêves inspirés de l'Esprit et ayons la foi (l'espérance des choses qu'on ne voit pas) que par Sa puissance Il peut faire infiniment plus que tout ce que nous pouvons imaginer.

    Bonne suite dans tes démarches et ne laisse jamais s'éteindre le feu qui t'anime !

    A bientôt.

    Eveline

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