Courir les 20 km et la grâce de Dieu

Karl Barth, grand théologien du XXe siècle, disait qu’un bon prédicateur prêche, rassurez-vous non pas 45 minutes comme Calvin, mais avec la Bible dans une main et le journal dans l’autre. Je vous ai donc apporté la feuille, comme on dit chez nous, le 24 heures de lundi passé. A la UNE, vous ne l’aurez pas manqué, les 20km de Lausanne et cette année encore un record de participation avec près de 20'000 coureurs. Waouh. Imaginez un instant que toutes ces personnes viennent au culte. Bon, faudrait louer la Pontaise. Et on en est loin, évidemment. Mais je commence ce matin avec pour vous cette première image de 20'000 coureurs rassemblés. Ne serait-ce pas un signe ? car comme le dit ma sage grand-mère : Si tu vois un point blanc sur le lac, c’est un signe !

La course de nos vies


Plus sérieusement, je me suis laissé interpelé par la taille de cet événement, ayant moi-même couru péniblement les 10 km. Trois points me sont venus  à l’esprit:
- si nous prenons du recul, le succès de participation des 20 km de Lausanne n’est-il pas un symbole de notre société qui nous impose un rythme effréné, qui nous pousse à courir tout le temps ? Dans la vie active, nous courons en effet d’une activité à l’autre, d’un hobby à l’autre, d’un rendez-vous à l’autre ; au fond la denrée la plus précieuse de notre temps, c’est justement… le temps ! Dans notre société, la plupart des gens – et je m’inclus dedans ! – n’ont plus le temps, avec leur agenda overbooké ! Boire un café ? Pas le temps ! Taper un brin de causette dans l’escalier avec la voisine ? Pas le temps ! Jouer avec le petit nain dans le jardin ? Pas le temps ! Ainsi, dans notre société où nous nous sommes très souvent aussi pressés que des citrons, nous courrons.
- Nous courrons au propre comme au figuré, car la société place elle aussi, comme le sport ou les jeux olympiques, la barre toujours plus haut : toujours plus loin, toujours plus vite, toujours plus haut, toujours plus… de rendement ! La nouvelle religion du XXIe siècle, au fond, c’est le culte, oui, mais le culte de la performance !
- Finalement, je me rends compte, pour moi en tout cas, mais pour d’autres aussi je suppose, que la course à pied est paradoxalement une sorte de remède à la course effrénée que nous impose notre société. Pourquoi est-ce que je cours ? ne serait-ce pas, au fond, pour me vider la tête de mes soucis, pour m’aérer l’esprit de la pression sociale, autrement dit courir pour me libérer de la courses folle de notre société ?

Courir, oui, mais vers quel but ?

L’apôtre Paul, lui aussi, utilise cette image pour parler de la vie chrétienne. Ne savez-vous pas que les coureurs, dans le stade, courent tous, mais qu’un seul gagne le prix ? Courez donc de manière à le remporter. Notre société, comme le sport, est une grande compétition, basée sur la performance. Nous passons donc notre vie à essayer de remporter la course, mais qu’est-ce que cela signifie « remporter la course » ? On ne sait pas très bien, pour l’instant, mais ce que l’on sait, c’est l’importance du but. C'est pourquoi je cours les yeux fixés sur le but, dit Paul. L’apôtre nous rappelle ici le besoin essentiel d’avoir un but dans la vie, sinon on s’essouffle, sinon on perd courage, comme le démontrent les burn-out autour de nous. Et vous, quel est le but de votre course ? quel est le but de votre existence ? (silence)

Ce n’est pas une petite question, n’est-ce pas ? ;-) Paul nous invite donc à réfléchir au but de notre course, certes, mais aussi que celui-ci ne soit pas dans l’éphémère. Tous les athlètes s’imposent une ascèse rigoureuse ; eux, c’est pour une couronne périssable, nous, pour une couronne impérissable. Paul nous rappelle que la victoire que prône la société est une couronne périssable, qui se fane vite ; nous le savons bien, le succès et la gloire sont éphémères, comme le montrent bien les télé-réalités et autres émissions TV pour australopithèques en tout genre. Et donc la vraie question, c’est que faire pour obtenir cette « couronne impérissable » qui ne se fanera jamais ? autrement dit, que puis-je faire pour laisser ma trace sur cette terre ? (court silence) Qu’est-ce qui ne périt pas ? qu’est-ce qui reste ? (silence). Pour moi, ce qui reste, ce qui ne périt pas, cela tient en un seul mot : l’amour.

La grâce qui nous sauve

Dans le second passage que nous avons entendons, l’apôtre Paul, dans sa lettre aux Ephésiens, utilise un autre mot, moins actuel, qui pourrait même apparaître comme un ovni aux petits oiseaux du XXIe siècle : Paul parle de « grâce ». Pas la grasse matinée, ni grâce à… quoi ?! NON, LA grâce ! La grâce, c’est un don, un cadeau, comme une meringue double crème de gruyère, un cadeau offert par Dieu à chacune et chacun d’entre nous, signe de son amour inconditionnel pour nous. La grâce, c’est ce qui nous sauve. Si vous êtes d’accord avec moi pour dire que la société de performance nous mène tout droit dans le mur, alors nous pouvons entendre le message d’amour de Dieu pour nous qui peut nous sauver.

Comment donc être libéré de la pression de la performance ? Paul répondrait : « par la grâce ! » Et c’est un message complètement révolutionnaire, aussi pour notre époque ! Dans une société d’aujourd’hui où tout se paie, où rien n’est gratuit, où tout dépend de notre performance, où tout dépend de notre course, eh bien la grâce de Dieu, elle, ne dépend pas de nos efforts, mais simplement de notre foi, autrement dit de notre confiance qu’il est là au cœur de nos vies, comme nous l’avons chanté tout à l’heure. Et le baptême que nous vivons en ce jour, c’est justement le signe de cette grâce, de cet amour inconditionnel de Dieu pour nous, de ce don qu’il nous fait ! Le baptême, c‘est le signe de cet amour qui nous précède !

Une vie riche en actions bonnes

[s’avancant] Ainsi cette eau, c’est la grâce, c’est l’amour de Dieu pour chacune et chacun de nous. Chacune et chacun y a droit, dans la course de sa vie. Alors recevez-là maintenant, mais soyez rassurés, je n’ai pas pris mon tuyau d’arrosage, mais un simple rameau ! (aller arroser l’assemblée) Cette eau, elle nous rappelle nous aussi notre baptême, l’engagement de nos parents, parrain et marraine ; cette eau, elle nous rappelle que nous aussi nous avons reçu cette grâce de Dieu comme un cadeau.

Et cette eau, cet amour de Dieu, nous libère de cette pression sociale de performance, de rendement, de croissance, comme l’eau libère le coureur à pied de la chaleur oppressive.
[retour en chaire] La grâce nous libère pour être nous-mêmes et œuvrer pour le bien. Car Paul le dit, Dieu nous a créés, dans notre union avec Jésus-Christ, pour que nous menions une vie riche en actions bonnes. Voilà le but, le but ultime de la course, le but de la vie chrétienne. Recevoir la grâce de Dieu et en retour, aimer, en menant une vie riche en actions bonnes. A chacun selon ses capacités, j’ajouterais. Tout un programme, n’est-ce pas ? Le programme de toute une vie. Le programme de toute une course : 20 km ne suffiraient pas…

Alors oui, dans notre vie où nous courons sans cesse, la grâce de Dieu est cette eau qui nous libère de la pression de la performance ! Nous pouvons dès lors continuer à courir, mais courir, plus légers, portés par les gouttes de cette grâce infinie de Dieu pour chacune et chacun d’entre nous, et nous diriger vers une vie riche en actions bonnes, selon nos capacités.

En conclusion, j’ai envie en ce jour de vous inviter à agir. Aller à l’Eglise, c’est bien, écouter le pasteur, c’est bien aussi, recevoir le baptême, c’est sacrément bien, se souvenir que nous avons reçu la grâce de Dieu, c’est toujours et encore bien, et sans modération, mais en sortant de ce temple, la course va reprendre. Alors cette semaine, je vous invite chacune et chacun, à vivre votre vie, simplement enrichie d’UNE action bonne pour alléger cette course. Pas deux ou trois, UNE bonne action. Cela peut être un geste envers une personne en difficulté, un petit signe de douceur pour quelqu’un qui en a besoin, un geste de pardon vers quelqu’un qui vous a offensé, ou simplement un peu de temps offert à un proche. En bref, je vous invite à réaliser concrètement un geste d’amour pour une personne qui vit des temps difficiles dans la course de sa vie.  Et alors, grâce à la grâce, la rude course de nos vies en sera transformée.

Amen.

(Prédication prononcé le dimanche 4 mai 2014 à Chailly ; 
références bibliques: 1 Co 9, 24-27 & Eph 2, 1-10)

Commentaires

  1. Un grand merci pour ce message tellement vrai. Je n'ai pas toujours l'occasion d'aller au culte, donc avoir accès en ligne aux prédications me ravit. Et puis je trouve intéressant de pouvoir les lire dans le calme en prenant le temps de la réflexion avant de poursuivre.
    Eveline

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