Pour trouver Charlie et sortir de la crise, vivre la réconciliation et le témoignage

Textes bibliques

  • Ephésiens 2,11-22 
  • Actes 2, 42-47 
  • Luc 10,1-4 et 8-9

Prédication

 Où est Charlie? demande une bande dessinée enfantine qui cache un individu au pull rayé rouge et blanc dans une foule. Depuis mercredi, Charlie est partout, notamment sur les réseaux sociaux, pour témoigner de notre compassion avec cet abominable attentat au siège du journal satirique Charlie Hebdo. L’horreur de cet acte nous le rappelle : le monde, sous ses apparences paisibles et opulentes, est en crise. Où est Charlie ? Cette question, c’est un peu le symbole de cette crise que nous traversons. « Où est Charlie ? », où est passé le monde idyllique de l’enfance, d’harmonie et de paix, de communion et de fraternité? Mercredi, Charlie a été sauvagement assassiné et cela nous relance en pleine figure une vérité difficile à accepter: c’est la crise.

Une crise des valeurs

Avant tout, je crois que nous traversons une crise des valeurs dans une société en perte de repères, crise où le fondamentalisme rassure, qu’ils soit islamiste ou chrétien fondamentaliste, face à la mollesse des autres. Crise où certains vont même jusqu’à se plaindre de la présence de trop de femmes pasteurs dans l’Eglise réformée vaudoise. Non mais sérieusement, comment prendre au sérieux une telle affirmation alors que nous voyons la richesse infinie que les femmes apportent au ministère et à l’Eglise (merci au Conseil Synodal pour sa prise de position remettant l?Eglise au milieu du village ou plutôt la femme au milieu de l'Eglise) ? Mais crise des valeurs, il y a bel et bien, et cette crise touche aussi l’Eglise, qui décline toujours plus, sans parler du mouvement pour l’unité des chrétiens qui, en ce début de XXIe siècle, semble traverser un hiver œcuménique sibérien qui n’a pas de fin. Vraiment, nous sommes en crise, et dès lors ce matin nous pouvons nous poser ensemble la question : où est Charlie ?

Face à la crise, deux options se présentent à nous : soit subir le changement, soit le prendre comme une chance. Le mot crise, en grec, signifie «choix ». La crise, c’est peut-être le moment opportun pour faire un choix et résister, pour revivifier l’Eglise et son message de paix d’unité.

Car vous l’aurez compris, si j’ai été invité ce matin à prêcher ici chez vous à Grandvaux, c’est d’abord pour parler d’œcuménisme, et de l’Eglise. Mais que cela ne nous empêche pas de penser à l’actualité.

L'Oecuménisme du XXIe siècle 



Oui aujourd’hui, la crise touche plus que jamais nos Eglises. Nous ne sommes désormais plus dans l’Eglise de Grand-Papa, vous savez celle qui était au milieu du village, les cures ne sont plus forcément habitées par des pasteurs comme ici à Grandvaux, les paroissiens se font plus rares au culte, sans parler de la pénurie de vocations pastorales (avis aux amateurs ici présents)…  Nous avons tourné la page du XXe siècle florissant, tant au niveau ecclésial qu’œcuménique, avec la construction de tous ces centres œcuméniques scomme pas très loin d’ici celui de Vassins à la Tour-de-Peilz pour entrer dans un XXIe siècle plein de défis pour notre Eglise.

Comme le dit un ami prêtre, n’en déplaise à certains, nous de l’œcuménisme du verre d’eau à celui du cocktail multicolore.  De celui qui cherchait avant tout à gommer les différences, en célébrant évidemment en blanc,  au mouvement œcuménique d’aujourd’hui qui, au contraire, se nourrit des couleurs différentes de chacun. Dès lors, qu’un pasteur se mette en robe noire, comme je le suis ce matin, pour une célébration œcuménique n’est pas un signe de fermeture aux autres confessions, mais de respect des différences de chacun, d’acceptation de l’identité propre de chaque tradition. Quand je suis bien avec mon identité, je peux entrer en dialogue avec l’autre. Le but n’est pas de faire une seule Eglise, soupe chrétienne sans goût, mais un rassemblement de TOUS avec les richesses de chacun.
sommes passés

Aujourd’hui, c’est donc la crise, et face à celle-ci nous est présentée une page blanche de l’histoire de l’Eglise, celle du XXIe siècle: si vous deviez réinventer l’Eglise, qu’est-ce que vous y écririez sur cette page blanche ?



Comment réinventer l’Eglise ou les relations œcuméniques ? comment retrouver un Souffle qui rassemble ? Dans mon mémoire de master en 2010, j’ai défini 6 piliers pour que l’œcuménisme puisse avoir de l’avenir. 6 piliers, c’est à la fois peu et beaucoup. C’est en tout cas retrouver la base de la vie de foi, comme nous le disent les 3 textes bibliques que nous venons d’entendre.

Vivre la réconciliation

Le premier point, mis en valeur dans la lettre de Paul aux Ephésiens, est celui de la réconciliation déjà vécue en Christ mais toujours à vivre avec nos frères et sœurs aujourd’hui. De ce qui était divisé, Le Christ a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation : la haine. Il a aboli la loi et ses commandements avec leurs observances. Il a voulu ainsi, à partir du Juif et du païen, créer en lui un seul homme nouveau, en établissant la paix, et les réconcilier avec Dieu tous les deux en un seul corps, au moyen de la croix : là, il a tué la haine. Le Christ a tué la haine… Et cette réconciliation voulue par le Christ, c’est un thème forcément d’actualité dans le monde, mais également dans nos Eglises : pour être ensemble dans la foi, nous avons besoin d’entreprendre des chemins de réconciliation. N’oublions pas que des atrocités ont été commises ici dans le canton de Vaud entre chrétiens, et il n’y pas si longtemps de cela. Si nous sommes tous de la famille de Dieu, comme le dit l’apôtre Paul, nous avons tous des blessures à panser.

Donc la première étape d’une revivification des relations ecclésiales, c’est le jeûne (1er pilier). Faire le vide pour faire de la place à l’autre et à Dieu, pour pardonner pour pouvoir prier ensemble (2e pilier) et confesser sa foi ensemble (3e pilier).

Le ministère du témoignage

Après le ministère de réconciliation, donc, le ministère du témoignage. L’évangéliste Luc nous le
redit avec simplicité : la mission première des chrétiens est d’évangéliser, de répandre la bonne nouvelle que « Le Règne de Dieu est arrivé jusqu’à vous ». Témoigner ENSEMBLE par des actions de solidarité qui touchent les gens. Car dans une société en crise, j'en suis convaincu, l'œcuménisme est la seule voie de salut pour nos Eglises. Si nous, chrétiens de différentes confessions, ne sommes pas capables de nous aimer, de porter l’Evangile ensemble tout au long de l’année, et pas seulement en janvier, si nous ne pouvons pas montrer un engagement commun, alors quelle pertinence peut avoir encore cette « bonne nouvelle » pour le monde ? Il n'y a pas de doute sur ce plan-là: la crise doit nous rapprocher et nous forcer encore plus à travailler ensemble, encore plus à montrer au monde un visage uni !

Et vous l’avez entendu, Jésus envoie ses disciples en mission deux par deux. Pas seul, mais enrichi de la foi de chacun. Et si nous nous mettions à évangéliser, à répandre la Bonne Nouvelle, deux par deux ? un catholique avec un réformé ? un réformé avec un évangélique ? Un évangélique avec un catholique ?

Ancré dans la Parole, comme le CBOV

Oui nous devons marcher ensemble comme dans un pèlerinage (4e pilier) pour témoigner au monde dans des œuvres, symboliquement comme l’aumône (5e pilier). Le 6e pilier, c’est la Bible et elle est essentielle, comme nous le démontre l’exemple des premiers chrétiens dans les Actes des Apôtres : si notre travail n’est pas ancré dans la Parole, la Bible comme révélation de la Parole de Dieu pour nous, alors tout est vain. La Parole doit être mise au centre, enseignée, priée, méditée, lectio divinée, et surtout… partagée ! Sans partages bibliques, nous perdons un grand acquis de la réforme qui est celui de la liberté d’expression dont on a tellement parlé ces jours! Sans partage biblique, nous perdons les richesses de chacun, nos couleurs du cocktail, et tombons rapidement dans le fondamentalisme.

Alors, l’œcuménisme va-t-il à vau-l’eau ? Un petit village d’irréductibles résiste encore et toujours. Sur la colline de Vaumarcus, depuis 70 ans, et de manière œcuménique depuis 44 ans, des chrétiens de différentes confessions de 4 à 94 ans se réunissent pour partager autour de textes bibliques. Le Camp Biblique Œcuménique de Vaumarcus (CBOV pour les intimes) est un exemple de succès œcuménique : ancré dans le partage de la Parole, dans le vécu commun, dans la communion et la communauté, les participants à ce camp s’aiment et témoignent au monde de leur amour et de leur engagement.

Au peuple de Dieu de prendre ses responsabilités

Alors en définitive, où est Charlie ? où allons-nous dans une société et une Eglise en crise ? Eh bien pour sortir de la crise, je crois fermement que l’Eglise et l’œcuménisme doivent remettre au centre leurs ministères de réconciliation et de témoignage, ancré dans la Parole et le partage, comme l'illustre la réussite du Camp Biblique Œcuménique de Vaumarcus. Mais surtout, l’Eglise doit être portée par le peuple de Dieu, et le peuple de Dieu c’est vous, c’est nous ! Ce n’est pas à l’institution de changer, c’est au peuple de Dieu de prendre les choses en main ! Alors je vous pose ce matin la question : êtes-vous prêt pour témoigner et faire changer les choses ?

Où est Charlie ? Vous l’aurez compris, c’est à chacun de prendre ses responsabilités, de résister pour réinventer le monde de demain. Pour écrire la page encore blanche de l’histoire de l’Eglise du XXIe siècle  Car l’unité de l’Eglise, c’est l’affaire de tous. Que Dieu nous accompagne donc et nous aide à être ensemble des témoins dans le monde, témoins de cet amour infini de Dieu pour son peuple ! Et ainsi, peut-être, nous pourrons retrouver… Charlie !

Amen.

Prédication dite le dimanche 11 janvier 2015 au temple de Grandvaux



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