Convertissez vos cœurs à l’unité pour que le Corps du Christ puisse guérir !


Chers frères et sœurs en Christ catholiques et réformés de Lutry,

Ce matin, je viens avec une question pour nos communautés: L’unité, aujourd’hui, qu’en faisons-nous ? Le mouvement œcuménique est-il une désillusion passée mise au frigo en attendant des temps meilleurs ? Ou un mouvement d’extrémistes qui ne tiennent plus compte des réalités ? Qu’avons-nous fait de cet héritage de Vatican II et qu’en faisons nous aujourd’hui ?

I have a dream today, disait Martin Luth King dans son fameux discours dont nous avons fêté les 50 ans en août dernier. « J’ai un rêve aujourd’hui !  (…) Quand nous permettrons à la cloche de la liberté de sonner dans chaque village, dans chaque hameau, dans chaque ville et dans chaque Etat, nous pourrons fêter le jour où tous les enfants de Dieu, les Noirs et les Blancs, les Juifs et les non-Juifs, les Protestants et les Catholiques, pourront se donner la main et chanter les paroles du vieux Negro Spiritual : “ Enfin libres, enfin libres, grâce en soit rendue au Dieu tout puissant, nous sommes enfin libres ! »

Oui Martin Luther King avait rêve, celui de l’égalité entre les blancs et les noirs, mais aussi celui d’une unité de tous les enfants de Dieu. Par ailleurs, le pasteur noir nous rappelle que les changements, si essentiels dans notre perspective soient-ils, exigent du temps et de la patience. N'est-il pas remarquable qu’en 2008, quarante ans après l’assassinat de King, un président noir soit élu dans un des gouvernements les plus puissants de la planète? Aussi utopique qu’il ait pu sembler à l’époque, le rêve de Martin Luther King a pris corps, en tout cas partiellement.

L’unité parfaite, une utopie

Justement, la réalisation actuelle de cette citation doit à mon sens inspirer le mouvement œcuménique. Car l’unité parfaite, unité qui ressuscite tout le Corps du Christ, n’est-elle par précisément une utopie, exactement comme cette citation de Martin Luther King ?

Etymologiquement, l’unité complète et visible est utopique, en tout cas actuellement, puisqu’une telle unité est aujourd’hui « sans lieu », (u-topos, ce qui veut dire « sans lieu en grec), même si des bribes de cette unité ont déjà été et sont encore vécues dans de nombreux endroits.

Par ailleurs, à la manière des utopies sociales du XIXe siècle, il faut souligner que le concept d’utopie décrit une sorte de modèle visionnaire qui a pour but ultime de changer « l’ordre des choses ». Dans ces termes, comment ne pas voir l’unité complète et visible comme un but à atteindre, certes inatteignable, utopique, mais vers lequel il s’agit de tendre de la manière la plus complète possible ?

Quelle unité ?

Encore faut-il s’entendre sur ce que l’on entend par « unité »… Avant tout, il faut rappeler qu’« unité » ne signifie pas « uniformité » et n’est en aucun cas un refus de la différence ou de la diversité.  Tout au long de l’histoire, le christianisme a été marqué par la diversité. Par exemple, s’il y a de réelles différences entre les quatre évangiles, ceux-ci n’en décrivent pas moins l’unité du même Evangile, de la même Bonne Nouvelle. Sans faire l’apologie de la différence et de la diversité, remarquons quand même que celles-ci sont constitutives du monde terrestre et dès lors nécessaires.

Néanmoins, si la diversité et la différence sont bonnes, il ne s’agit pas de s’en contenter, mais bien de viser l’unité la plus grande possible. Ces deux pôles sont organiquement liés l’un à l’autre. Dans la première Lettre aux Corinthiens, Paul exprime au chapitre 12 une vision précisément organique de l’Eglise par la métaphore du Corps du Christ, d’abord pour la communauté puis par extension pour les communautés entre elles aussi. L’apôtre met l’accent avant tout sur l’unité (même Esprit, même Seigneur, même Dieu) : ce qui prime, c’est l’unité de la communauté, le corps, même si chaque membre a une certaine autonomie propre, et des dons spécifiques. Garder son identité confessionnelle propre claire et forte, tout en reconnaissant la communion d’un même corps au sein des autres Eglises, sans nier les identités communes en Christ, voilà le défi de l’œcuménisme. Et pour cela, ne nous contentons pas du minimum ! L’unité est à vivre, et pas seulement pendant la semaine de l’unité !

Le problème actuel, c’est que ce corps est comme malade, gangréné par les divisions et par les blessures
de l’histoire. Non l’Eglise, ce ne sont pas ces « bien portants » dont parle l’évangéliste Luc. L’Eglise est malade et nous avons besoin de conversion pour accomplir la promesse d’Isaïe de guérison. Et c’est exactement ce que nous rappelle Jésus dans le passage de l’Evangile de Luc : « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs pour qu’ils se convertissent. » Oui l’Eglise que nous formons, le corps du Christ sur terre, est malade, à cause du péché qui la divise. Nous n’avons pas le temps ici de nommer tous les lieux de guérison possibles, mais osons nous poser ces questions : à l'intérieur de chaque communauté, de quoi avons-nous besoin de guérir spécifiquement ? L’ouverture à la reconnaissance des ministères ? ou la reconnaissance de la papauté comme « ministère de l’unité » ? Et les uns par les autres : avons-nous des remèdes à partager ? (silence) La piste que j’aimerais souligner ce matin est celle de la conversion : oui, nos Eglises ont besoin de conversion pour guérir.

Le jeûne et la kénose comme chemin à suivre

Convertir nos cœurs à l’unité, donc. Se convertir, oui mais… comment ? Encore une fois, l’Evangile de Luc nous montre le chemin : il nous appelle, dans la péricope suivante (comme quoi tout est lié et se suit), à jeûner. « Mais des jours viendront, dit Jésus, où l’époux leur aura été enlevé, alors ils jeûneront en ces jours-là. »

Pour le mouvement œcuménique, il me semble pertinent de mettre en avant l’image du jeûne et de celle de la kénose. La ké… quoi ? La kénose est un concept de dépouillement qui vient de l’extrait de la lettre aux Philippiens, que nous venons d’entendre, où Jésus s’est précisément abaissé, dépouillé ou vidé (ἐκένωσεν).

Dans ce passage, deux points principaux sont selon moi à relever en lien avec l’oecuménisme. Premièrement, « l’appel en Christ » (2,1) de Paul commence précisément par un appel à l’unité (2,2 : Ayez un même amour, un même cœur ; recherchez l'unité). Et cette unité, comment y parvenir ?

La réponse de l’homme de Tarse est claire : par l’humilité, par le fait de considérer les autres comme supérieurs. Ce puissant concept de « supériorité de l’autre » est-il applicable dans une réalité humaine minée par le péché et l’orgueil ?  C’est en tout cas vers cela que Paul appelle les chrétiens à tendre, suivant l’exemple de Jésus.

Deuxièmement, l’apôtre demande aux Philippiens de le remplir de joie. Mais pour que cette joie soit pleine, pour que l’Evangile soit pleinement réalisé et vécu, il s’agit d’abord de se vider, comme l’a fait le Christ ; il s’agit d’abord de passer par la croix, par le vide, par la reconnaissance du péché. Faire ce vide concernant nos orgueils tant personnels qu’institutionnels de supériorité sur l’autre – car « nous sommes les détenteurs de la Vérité » –, se vider de nos préjugés sur cet autre qui se trouve « dans l’erreur », ou encore plus prosaïquement se dépouiller de nos modèles ou conceptions du monde spécifiques, tout cela est loin d’être une chose facile. Mais l’exemple du Christ qui s’est abaissé pour être relevé par la suite doit inspirer le mouvement œcuménique.

La voie à suivre est donc celle du dépouillement, de la kénose, et de la conversion. Le passage de Phlp 2  nous rappelle donc deux éléments de cette kénose,  deux  éléments dont le dialogue œcuménique ne peut faire l’économie : non seulement il s’agit de se dépouiller de ses préjugés, de ses vanités qui empêchent un dialogue sain de s’instaurer, mais l’apôtre Paul lance également un vibrant appel à l’humilité et à la reconnaissance de l’autre comme supérieur à nous. Pas au même niveau, mais supérieur. Ce n’est pas rien.

Convertir vos cœurs à l’unité pour que le Corps du Christ puisse guérir

Dès lors, comment vivre concrètement cette kénose, ce dépouillement ? Le jeûne symbolique ou réel, est la voie à suivre, permettant une simplification pour aller à l’essentiel et se reconvertir à l’Evangile. Dans cette démarche, l’apport du silence est évidemment incontournable, tant celui-ci permet de « se vider » si j’ose dire, de ce qui sépare d’une bonne écoute de Dieu, des bruits ou pensées parasites qui empêchent d’entendre la Parole, et de se recentrer sur l’essentiel. Bien sûr, cela est valable tant pour le silence auditif – prière, méditation, lectio divina – dans le silence d’un lieu, que pour le silence « stomacal » – jeûne, partiel ou total – qui permet, une fois que « la tête » est passée sur un autre mode que celui de se nourrir par la bouche, de chercher et de s’ouvrir plus profondément à une autre nourriture, spirituelle et profonde. A ce titre, faire une semaine de jeûne ensemble de manière œcuménique – comme c’est le cas chaque année à Lutry, vous pouvez venir vers moi pour plus d’infos – oui jeûner ensemble permet justement d’entamer des chemins de conversion et de réconciliation.

Ainsi, pour guérir nos Eglises malades, nous avons besoin de convertir nos cœurs à l’humilité et à la réconciliation, convertir nos cœurs pour que l’utopie de l’unité parfaite puisse avancer et que la prière de notre Seigneur Jésus Christ « que tous soient un » se réalise. Et vous, chers frères et sœurs en Christ catholiques et réformés de Lutry, êtes-vous prêts à convertir vos cœurs à l’unité pour que le Corps du Christ puisse guérir ?

Amen.

A lire pour aller plus loin...

1) L'histoire du mouvement œcuménique en bref: http://www.franceculture.fr/emission-orthodoxie-l-histoire-du-mouvement-oecumenique-2014-01-12?utm_source=twitterfeed&utm_medium=facebook

2) Un billet étonnant et interpellant de mon frère l'abbé Vincent Lafargue: http://www.ab20100.ch/billets/verre-deau-ou-cocktail/

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